Newsletter août 2023
Editée par Bohnet F., Eggler M. et Varin S.
Avec le soutien de La chambre des avocats spécialistes FSA en droit de la construction et de l'immobilier
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Droit de préemption; recours contre une décision incidente; action en paiement non chiffrée; dommage; cession de droits de préemption contractuels; cas de préemption; art. 85 et 237 CPC; 216b CO
Recours contre une décision incidente (art. 237 al. 2 CPC) – Lorsque le tribunal rend une décision incidente portant sur la validité de la cession d’un droit de préemption ainsi que sur l’exercice de celui-ci, il incombe à la partie qui s’y oppose de formuler un recours indépendant devant le tribunal supérieur ; un recours ultérieur en même temps que la décision finale n’est plus possible (consid. 1.3).
Action en paiement non chiffrée (art. 85 CPC) – En l’espèce, il est incontestable qu’au début de la procédure, il n’était pas encore possible ou raisonnable de chiffrer la demande, car elle dépendait d’une expertise sur la valeur vénale du terrain ; la condition de l’art. 85 al. 1 CPC était donc remplie. Est litigieuse la question de savoir si le fait d’avoir attendu les plaidoiries finales pour chiffrer les conclusions est admissible au sens de l’art. 85 al. 2 CPC. Le Tribunal fédéral reconnait que le chiffrage est intervenu sans retard dans le cas d’espèce, puisque l’expertise a été rendue en 2020 mais a continué à faire l’objet de critiques par la suite ; deux compléments d’expertise ont été fournis en date du 2 décembre 2020 et du 25 août 2021. Finalement, le tribunal a invité les parties à présenter leurs plaidoiries écrites dans une décision du 9 novembre 2021, dans laquelle il s’est encore prononcé sur la recevabilité de nombreux moyens de preuve. Il en résulte que seule la conclusion de l’administration des preuves permettait en l’espèce de chiffrer la demande, de sorte que le chiffrage intervenu dans les plaidoiries écrites du 28 février 2022 n’est pas tardif.
Cession de droits de préemption contractuels – La cessibilité des droits de préemption contractuels portant sur des immeubles est actuellement régie par l’art. 216b CO. Selon l’al. 1 de cette disposition, de tels droits de préemption ne sont pas cessibles, sauf convention contraire (consid. 5.1). En l’espèce, cette disposition, entrée en vigueur le 1er janvier 1994, n’existait pas à la conclusion du contrat et aucune autre disposition ne traitait de la question. Dans la jurisprudence et la doctrine, on retenait alors que le droit de préemption n’était généralement pas cessible, mais que la cessibilité pouvait résulter « de la volonté des parties ou des circonstances particulières du cas d’espèce ». C’est le cas en l’espèce, dans la mesure où les parties avaient un âge avancé à la conclusion du contrat et qu’il ressort d’une interprétation subjective de leur volonté, qu’elles auraient souhaité qu’une cession telle que celle d’espèce, c’est-à-dire entre vifs mais aux héritiers légaux, au compte d’une future succession, soit possible (consid. 5.2-5.4).
Dommage – Le dommage résultant de la violation du contrat qui confère le droit de préemption correspond en l’espèce en la différence entre la valeur vénale du terrain au moment de la violation contractuelle et le prix d’achat payé par l’acquéreur, auquel les bénéficiaires du droit de préemption auraient ainsi pu obtenir le terrain (consid. 6).
Cas de préemption – Lorsqu’un transfert de propriété est effectué pour le compte d’une future succession, il ne déclenche pas de cas de préemption, tant dans le nouveau que dans l’ancien droit. En effet, il n’y a généralement pas de cas de préemption lorsqu’une transaction est conclue en tenant spécialement compte des relations personnelles, comme c’est notamment le cas lors d’une avance d’hoirie, respectivement lorsqu’un immeuble est transféré à un héritier légal en tenant compte de son droit successoral futur. La vente se présente alors comme un règlement anticipé de la succession (consid. 7).
Avocat spécialiste FSA droit du bail, LL.M., Dr en droit, Professeur à l'Université de Neuchâtel
Contrat d’entreprise; exception d’inexécution; cession des droits de garantie; retenue et sûreté après la remise de l’ouvrage; prix forfaitaire; maxime des débats et principe de l’allégation; art. 82, 164 ss CO; 149 ss, 181 Norme SIA; 55 CPC
Exception d’inexécution (art. 82 CO) – Rappel des principes. Si l’exception soulevée est justifiée, le juge protège l’action en ce sens qu’il condamne le débiteur à la prestation « trait pour trait », c’est-à-dire à une obligation sous condition suspensive. Le droit de refuser une prestation présuppose toutefois que les prestations réciproques se trouvent dans un rapport d’échange. En règle générale, un tel rapport n’existe qu’entre les obligations de prestations principales, mais pas en ce qui concerne les obligations de prestations accessoires. Exceptionnellement, l’application de l’art. 82 CO est toutefois envisageable en ce qui concerne les obligations accessoires, notamment lorsque la prestation principale serait pratiquement sans valeur en cas de non-exécution de l’obligation de prestation accessoire. Il appartient en premier lieu aux parties de décider si la prestation accessoire revêt une importance telle qu’elle se trouve dans un rapport d’échange avec la prestation principale (consid. 2.2).
En l’espèce, le maître de l’ouvrage ne parvient pas à démontrer que la transmission des garanties serait une obligation principale qui devrait être dans un rapport d’échange synallagmatique avec le paiement du prix de l’ouvrage (consid. 2.3.3.3). De plus, les droits de garantie ont été valablement cédés, selon la convention d’exécution, dès réception de l’ouvrage. Dans le cadre d’une cession de créance, les droits préférentiels et accessoires sont transférés avec la créance, à l’exception de ceux qui sont indissociablement liés à la personne du cédant (art. 170 al. 1 CO). Seule une promesse de garantie indépendante faite au cédant selon l’art. 111 CO n’est pas couverte sans autre par l’effet de la cession (consid. 2.3.3.2).
Retenue et sûreté après la remise de l’ouvrage (art. 149 ss et 181 Norme SIA 118) – Selon l’art. 181 al. 1 Norme SIA 118, la garantie à fournir avant le versement de la retenue existe de manière générale pour les défauts signalés lors du contrôle commun ou pendant le délai de réclamation, indépendamment du fait que l’entrepreneur ait fourni ses prestations lui-même ou par l’intermédiaire de sous-traitants. Ces derniers sont des auxiliaires d’exécution dont l’entrepreneur principal est responsable du travail défectueux.
En l’espèce, les parties ont toutefois prévu une cession des droits de garantie à la date convenue ainsi qu’une libération totale de l’entrepreneur de toutes ses obligations envers le maître d’ouvrage pour la fourniture de prestations relatives au projet. Par conséquent, il n’existe plus de droit à la garantie et aucune retenue ne se justifie (consid. 2.3.4.2).
Prix forfaitaire – En l’occurrence, les parties ont modifié le contrat initial et fixé un prix au forfait dans un nouvel accord, près d’un an après la remise de l’ouvrage. Dans ce contexte, faute de preuve contraire, il faut retenir que le prix forfaitaire comprenait les réductions du prix dues en raison du défaut de l’aménagement intérieur de certains appartements. C’est en particulier le cas, lorsque l’accord sur prix forfaitaire visait précisément à éviter un décompte compliqué (consid. 3.3).
Servitude; droit de passage nécessaire; accès suffisant en droit public; rapport entre droit privé et droit public; art. 694 CC; 19 et 22 LAT
Droit de passage nécessaire (art. 694 CC) – Rappel des principes. De jurisprudence constante, le Tribunal fédéral fait dépendre l’octroi d’un passage nécessaire de conditions très strictes. Le droit de passage ne peut être invoqué qu’en cas de véritable nécessité. Il n’y a nécessité que si une utilisation ou une exploitation conforme à la destination du fonds exige un accès à la voie publique et que celui-ci fait totalement défaut ou est très entravé (consid. 4).
Accès suffisant en droit public (art. 19 al. 1 et 22 al. 2 LAT) – Une autorisation de construire n’est délivrée qu’à la condition que le terrain soit équipé. Un terrain est réputé équipé lorsqu’il est desservi d’une manière adaptée à l’utilisation prévue par des voies d’accès. Ce sont les moyens de la planification qui déterminent en premier lieu l’accès suffisant ; celui-ci peut également être aménagé par une convention privée conclue entre les propriétaires concernés. L’accès est suffisant lorsqu’il est garanti, sûr et approprié, non seulement pour ceux qui profitent de la construction, mais également pour les véhicules des services publics. L’étendue des installations et la détermination de l’accessibilité suffisante relèvent du droit cantonal. Du point de vue du droit fédéral, il suffit que la route d’accès soit suffisamment proche des constructions et installations. Il n’est pas nécessaire que la route soit carrossable jusqu’au terrain à bâtir ou même jusqu’à chaque bâtiment ; il suffit que les usagers ou les visiteurs puissent accéder avec un véhicule à moteur (ou un moyen de transport public) à une proximité suffisante pour accéder aux bâtiments ou installations par un chemin (consid. 4.2.2).
Rapport entre droit privé et droit public – La question de savoir si un bien-fonds, même situé en zone à bâtir, dispose d’un accès suffisant pour l’utilisation ou l’exploitation conforme à sa destination relève en premier lieu du droit public. Le zonage devrait en effet avoir pour conséquence que les biens-fonds dans la zone à bâtir soient équipés conformément au plan, rendant ainsi les servitudes de passages nécessaires superflues. La réalité du terrain est parfois autre. Dans ce cas, le propriétaire foncier doit recourir en premier lieu aux institutions du droit public si elles lui permettent d’obtenir un équipement convenable. Dans cette mesure, le propriétaire qui veut demander un passage nécessaire doit établir qu’il a fait – au préalable et en vain – tout son possible pour obtenir par les moyens du droit public un accès à son immeuble (consid. 4.2.1). Saisi d’un litige de droit de passage nécessaire, le juge civil peut en principe se fonder sur l’autorisation de construire entrée en force dans la mesure où, sous réserve d’exceptions, l’accès suffisant du droit public suppose des exigences plus strictes que celles du passage nécessaire garanti par le droit privé (consid. 4.4).
En l’espèce, le TF confirme que la parcelle est située en zone à bâtir sans toutefois disposer d’un accès suffisant sous l’angle du droit public et que l’aménagement d’un tel accès n’est actuellement pas prévu par les autorités ni exigible par le propriétaire auprès des autorités (consid. 5). En outre, il n’est pas contesté que l’accès est insuffisant au sens de l’art. 694 CC : le bâtiment sert de résidence principale ; l’accès piéton est dangereux et ne correspond pas aux critères actuels (longueur et pente) ; aucun accès motorisé n’est assuré pour des transports exceptionnels ou pour les services publics ; les livraisons postales exceptionnelles par la route existante ne bénéficient d’aucune autorisation (consid. 6).
Servitude; foi publique du registre foncier; acquéreur de bonne foi; modification d’une inscription; art. 738, 973 et 975 CC
Foi publique du registre foncier et acquéreur de bonne foi – Selon l’art. 975 CC, celui dont les droits réels ont été lésés par une inscription faite ou par des inscriptions modifiées ou radiées sans cause légitime, peut en exiger la radiation ou la modification (al. 1). Demeurent réservés les droits acquis aux tiers de bonne foi par l’inscription (al. 2), conformément à l’art. 973 al. 1 CC (consid. 3.1.1). Doit être protégé dans l’acquisition celui qui, de bonne foi, s’est fié à une inscription au registre foncier – étant précisé que le contrat de servitude est conservé comme pièce justificative au bureau du registre foncier et fait également partie intégrante du registre foncier – et a acquis par la suite la propriété ou d’autres droits réels. Même un acquéreur en soi de bonne foi doit donc se renseigner plus en détail si des circonstances particulières lui font douter de l’exactitude de l’inscription. L’état physique réel et extérieurement visible d’un bien-fonds peut notamment faire échec à la bonne foi du tiers acquéreur dans l’inscription figurant au registre foncier (consid. 3.1.3).
En l’espèce, l’acquéreur du fonds dominant ne pouvait pas de bonne foi considérer que la servitude impliquait une interdiction de construire sur l’entier du fonds servant à l’exception du volume déjà bâti, alors qu’elle était inscrite en tant que « restriction de bâtir » et que le feuillet renvoyait le lecteur à rechercher des précisions auprès du registre foncier avec une mention selon laquelle l’exercice du droit devait s’effectuer « selon le registre foncier ». L’acquéreur devait en outre se renseigner davantage en constatant que la limitation de hauteur à quatre mètres, prévue par la servitude, n’était visiblement pas respectée actuellement par deux bâtiments déjà construits (consid. 3.4).
Marchés publics; concurrence; qualité pour recourir de la COMCO; art. 83 et 115 LTF; 9 al. 2bis LMI
Qualité pour recourir de la COMCO – Le Tribunal fédéral avait déjà reconnu que le droit de recours de la COMCO est limité, selon la volonté du législateur, aux décisions qui soulèvent des questions juridiques d’importance fondamentale et aux marchés publics qui atteignent la valeur seuil déterminante. En l’occurrence, il nie que l’art. 9 al. 2bis LMI constitue une base légale spéciale qui la légitimerait à déposer un recours constitutionnel subsidiaire, en dérogation à la LTF, contre des décisions communales d’adjudication de travaux de construction.