Newsletter mars 2024
Editée par Bohnet F., Carron B., Eggler M. et Varin S., avec la participation de Wermelinger A.
Avec le soutien de La chambre des avocats spécialistes FSA en droit de la construction et de l'immobilier
Editée par Bohnet F., Carron B., Eggler M. et Varin S., avec la participation de Wermelinger A.
Contrat d’entreprise; contrat mixte de vente et d’entreprise; réparation des défauts selon la norme SIA 118; droit à la réparation du maître propriétaire d’une part d’étage; PPE sur plan; modification du projet de PPE pendant la construction; coordination entre les droits de garantie d’un propriétaire d’étage et les droits réels entre propriétaires d’étages; art. 368 ss CO; 641, 712d, 712e CC; 69 ORF; 169 Norme SIA 118
Contrat mixte de vente et d’entreprise – Rappel des principes. Application des règles du contrat d’entreprise pour la garantie pour les défauts (art. 368 ss CO), sauf si les parties prévoient autre chose. En l’occurrence, les parties ont convenu d’appliquer la norme SIA 118 (consid. 2.1).
Réparation des défauts selon la norme SIA 118 – L’art. 169 al. 1 ch. 1 norme SIA 118 privilégie la réparation, mais suppose pour celle-ci, par analogie avec l’art. 368 al. 2 CO, qu’elle n’entraîne pas de frais excessifs (consid. 2.1).
Droit à la réparation du maître propriétaire d’une part d’étage – L’entrepreneur qui se charge contractuellement de la construction d’une part d’étage est tenu envers le client de livrer l’ouvrage exempt de défauts, même en ce qui concerne les éléments de construction dont d’autres copropriétaires ont également la jouissance. Le droit à la réparation est indivisible et chaque propriétaire d’étages peut exercer ses droits contractuels à la réparation envers l’entrepreneur, même si ces droits concernent des parties communes d’un ouvrage divisé en PPE. Etant donné que les contrats entre l’entrepreneur et les différents acquéreurs n’ont pas forcément le même contenu, se pose la question de savoir dans quelle mesure un seul propriétaire peut faire valoir son droit contractuel à la réparation. C’est en particulier le cas lorsque le « défaut » concerne une partie commune et que les autres copropriétaires ne considèrent pas l’ouvrage comme défectueux, respectivement ont accepté le défaut ou la modification des plans. Dans ces circonstances, selon le TF, une coordination est nécessaire entre l’application du droit à la réparation prévu par les contrats d’entreprise des différents acquéreurs de la PPE et les règles relatives à la prise de décision de la communauté des propriétaires par étages. Un propriétaire d’étages ne peut pas imposer tout ce qu’il pourrait exiger en soi de l’entrepreneur en vertu de son contrat, sans tenir compte des intérêts des autres copropriétaires (consid. 2.1).
PPE sur plan – Conformément à l’art. 712d al. 1 CC, la PPE est constituée par inscription au registre foncier. Dans certaines conditions, l’inscription de la propriété par étages au registre foncier peut être exigée avant même la construction du bâtiment. Dans ce cas, un plan de répartition doit impérativement être joint à la réquisition (art. 69 al. 1 ORF). L’office du registre foncier inscrit sur le feuillet de l’immeuble de base et sur les feuillets des parts d’étages la mention : « Constitution de la PPE avant la construction du bâtiment » (art. 69 al. 2 ORF). Le plan de répartition sert à préciser et à délimiter l’étendue des droits exclusifs, mais il ne participe pas à la foi publique du registre foncier et n’est pas un acte authentique au sens de l’art. 9 CC (consid. 2.1.2).
Modification du projet de PPE pendant la construction – Les modifications individuelles du projet ne sont pas mises à jour au fur et à mesure dans le registre foncier. Le fait que les droits spéciaux, en tant que droits privés subjectifs, ne peuvent pas ou pas encore être exercés, tels qu’ils sont consignés dans le registre foncier et notamment dans le plan de répartition, est mis en évidence par la mention au RF prévue à l’art. 69 al. 2 ORF. La rectification des plans doit être effectuée lorsqu’il est établi ce qui a été modifié. Les propriétaires d’étages et l’administrateur doivent annoncer au registre foncier l’achèvement du bâtiment dans un délai de trois mois après la construction, le cas échéant en présentant le plan de répartition corrigé après la construction (art. 69 al. 3 ORF). Si la répartition a été modifiée, un plan de répartition corrigé et signé par tous les propriétaires d’étages doit être déposé. En cas de modifications ayant des répercussions sur les quotes-parts, une adaptation contractuelle de celles-ci équivaut à un transfert de propriété foncière et requiert la forme authentique ainsi que l’accord de tous les propriétaires d’étages et l’approbation de l’assemblée des propriétaires d’étages. Toutefois, chaque propriétaire d’étages a droit à une rectification si sa quote-part a été fixée de manière erronée ou si elle est devenue inexacte à la suite de modifications de la construction du bâtiment ou de ses environs (art. 712e al. 2 CC) (consid. 2.1.2).
Coordination entre les droits de garantie d’un propriétaire d’étages et les droits réels entre propriétaires d’étages – En l’espèce, l’entrepreneur n’a pas soumis les modifications du projet à l’ensemble des copropriétaires. Toutefois, certains des copropriétaires actuels ont acquis leurs unités de copropriété en se référant aux modifications apportées au projet et les ont ainsi acceptées. Les droits contractuels des différents propriétaires d’étages ne vont donc pas dans le même sens. Dans cette mesure, il existe manifestement un besoin de coordination : une remise en l’état selon les plans initiaux n’entre en ligne de compte que si le maître peut l’imposer contre la volonté des autres propriétaires d’étages (consid. 2.2), que ces derniers y consentent ou ne sont manifestement pas concernés par elle (consid. 2.3.2). Aucune de ces hypothèses n’est démontrée en l’espèce. Par ailleurs, la question de droit réel entre propriétaires d’étages ne peut pas être tranchée dans le cadre de la présente action contractuelle, uniquement dirigée contre l’entrepreneur, à l’exclusion des autres propriétaires d’étages, lesquels devraient obligatoirement avoir voix au chapitre. De plus, le maître ne parvient pas à démontrer l’arbitraire du constat selon lequel il ne faisait valoir que ses droits en garantie, à l’exclusion de ses droits réels (consid. 2.3). La jurisprudence rendue en matière d’action négatoire (art. 641 al. 2 CC) entre propriétaires d’étages n’est ainsi d’aucun secours au maître (consid. 2.4). Il en est de même des arguments tirés de la procédure décisionnelle et des règles de majorité au sein de la PPE (consid. 2.4.3).
S’agissant de l’articulation entre les droits de garantie du propriétaire d’étages et les relations avec les autres copropriétaires, le TF précise qu’il s’agit de deux questions distinctes de savoir, d’une part, si le recourant peut exiger de l’entrepreneur qu’il modifie les constructions de manière à ce qu’elles correspondent à ce qui a été convenu avec lui et, d’autre part, de savoir si les autres copropriétaires doivent accepter ces modifications (consid. 2.5.1). Toutefois, en vertu du principe de coordination susmentionné, il n’est pas critiquable de refuser la réparation au maître, alors qu’il n’a pas clarifié de manière préalable la situation en matière de droits réels, soit en l’occurrence de savoir si d’éventuelles modifications des parties communes seraient acceptées par les propriétaires d’étages ou peuvent leur être imposées (consid. 2.5.2). Dans le cas contraire, l’entrepreneur risquerait de devoir déconstruire à nouveau à la demande des autres propriétaires d’étages, de sorte que le maître n’a aucun intérêt digne de protection à de tels allers et retours contradictoires (consid. 2.6).
Professeur à l'Université de Neuchâtel, LL.M. (Harvard), Dr en droit, avocat spécialiste FSA droit du bail, avocat spécialiste FSA en droit de la construction et de l’immobilier
Propriété par étages; qualité pour agir en procédure civile de l’administrateur; répartition des frais et charges communs; PPE sur plan; action en annulation des décisions de l’assemblée; travaux de construction sur les parties communes; délai de convocation de l’assemblée générale; procès-verbal de l’assemblée des copropriétaires; hypothèque légale de la communauté des propriétaires d’étages; prescription des contributions; exception d’inexécution; art. 712h, 712i, 712m, 712t CC; 82, 127, 128 CO; 69 ORF
Qualité pour agir en procédure civile de l’administrateur (art. 712t CC) – Pour mener une procédure civile au nom de la communauté des copropriétaires, l’administrateur doit, en dehors de la procédure sommaire, être préalablement autorisé par l’assemblée des copropriétaires, sous réserve des cas d’urgence dans lesquels l’autorisation peut être obtenue ultérieurement. L’autorisation doit faire l’objet d’une décision de l’assemblée des copropriétaires. Si l’administrateur ne prouve pas l’existence d’une autorisation préalable ou s’il a agi dans l’urgence, le tribunal lui impartit un délai pour apporter la preuve de sa qualité pour agir. Si l’assemblée des copropriétaires l’autorise dans le délai supplémentaire imparti, elle approuve les actes de procédure initialement accomplis sans procuration et remédie au vice avec effet ex tunc. L’autorisation est une condition de recevabilité que le tribunal doit examiner d’office (consid. 4.1.2).
Répartition des frais et charges communs (art. 712h CC) – Rappel des principes. L’art. 712h al. 3 CC est une disposition de protection qui s’applique lorsque la répartition proportionnelle à la valeur des quotes-parts de certains frais ou charges communs semble inéquitable. Elle est de nature impérative (consid. 5.1.1). L’ancrage dans le règlement de la répartition des frais et charges communs selon la valeur des quotes-parts n’oblige pas la communauté des propriétaires d’étages à modifier le règlement pour s’écarter de cette clé de répartition (consid. 5.1.2.2). Cela peut se faire par une simple décision de l’assemblée des copropriétaires. La majorité simple est suffisante lorsque le règlement est muet sur la répartition, alors que la majorité nécessaire à la modification du règlement est exigée si la répartition décidée déroge à celle prévue par le règlement (consid. 5.1.2.3).
En l’espèce, l’assemblée des copropriétaires d’une PPE sur plan partiellement bâtie a exonéré les propriétaires des parts d’étages non construites des frais et charges communs. Pour le TF, cela ne saurait constituer une inégalité de traitement (consid. 5.1.3.2).
PPE sur plan (art. 69 ORF) – Rappel des principes (consid. 5.1.3.4). Le propriétaire d’une unité d’étage non (encore) construite dispose lui aussi du droit intangible et inaliénable de participer à l’assemblée des propriétaires d’étages et de prendre part aux décisions de celle-ci (consid. 5.1.3.5). En l’espèce, il faut partir du principe que l’ensemble du bâtiment – donc également les parties communes – est objectivement et définitivement inutilisable pour les propriétaires des unités non réalisées. Il existe donc une raison objective à l’exonération des frais (consid. 5.1.3.6). S’agissant de la dérogation à la répartition proportionnelle aux quotes-parts, la seule constellation préoccupante est celle où (exclusivement) les propriétaires par étages privilégiés détiennent simultanément une position de force dont ils pourraient abuser au détriment des autres propriétaires, ce qui n’est pas réalisé en l’espèce (consid. 5.1.3.8).
Action en annulation des décisions de l’assemblée – L’action en annulation est en principe de nature cassatoire. Cela signifie qu’aucune obligation ou action ne peut être imposée à la communauté des propriétaires d’étages dans le cadre du jugement. Une action en annulation visant l’annulation partielle de la décision est en principe recevable, mais présuppose, selon la doctrine, que la décision soit matériellement divisible (consid. 5.3.1.1).
Travaux de construction sur les parties communes – La réalisation de tels travaux exige qu’une décision (dite décision de dépenses) ait été prise non seulement sur l’exécution des mesures concernées en tant que telles, mais aussi sur les frais qu’elles occasionnent (consid. 5.3.2.4). Si la loi permet à l’assemblée des propriétaires d'étages de décider de la création d’un fonds de rénovation pour des travaux d’entretien et de rénovation (art. 712m al. 1 ch. 5 CC), il n’y a pas de raison qu’elle ne puisse pas décider d’un apport pour des mesures d’assainissement qui restent à concrétiser ; le grief selon lequel il n’est pas possible de forcer un propriétaire d’étages à verser sa contribution pour des travaux encore indéterminés est donc rejeté, dans la mesure où la nécessité d’assainir n’est pas contestée en l’espèce (consid. 5.3.3.3).
Délai de convocation de l’assemblée générale – Un délai de convocation ne respectant pas celui prévu par le règlement ne rend pas automatiquement nulles les décisions prises pendant l’assemblée, en particulier lorsque le propriétaire d’étages qui s’en prévaut a participé à l’assemblée et qu’il n’explique pas en quoi cette irrégularité lui aurait causé un préjudice. L’annulation ne peut aboutir que si la violation du règlement a eu ou aurait pu avoir un effet causal sur la formation des décisions (consid. 5.4.1.6).
Procès-verbal de l’assemblée des copropriétaires – Il faut contester les décisions elles-mêmes consignées dans le procès-verbal approuvé, ce qui a été fait en l’espèce. Contester en plus l’approbation du procès-verbal n’est ni nécessaire, ni pertinent, s’il s’agit de remettre en cause le contenu matériel des décisions. C’est uniquement si la consignation des décisions au procès-verbal n’a pas été faite correctement qu’il se justifie d’en exiger la rectification (consid. 5.4.2.3).
Prescription des contributions – En l’occurrence, le TF laisse ouvert la question de savoir quel délai de prescription est applicable aux contributions des propriétaires d’étages (5 ou 10 ans selon 128 ch. 1 ou 127 CO). Si la prescription est interrompue par une action en justice, elle recommence à courir lorsque le litige est clos, à savoir lorsque les voies de recours sont épuisées. En l’espèce, le délai a été interrompu avant que la prescription ne soit acquise et n’a donc pas encore recommencé à courir (consid. 6.3.3.2).
Exception d’inexécution (art. 82 CO) – Un propriétaire d’étages ne peut pas se prévaloir de l’art. 82 CO en relation avec des créances de cotisations impayées, faute d’un rapport d’échange (consid. 6.3.4.2).
Hypothèque légale de la communauté des propriétaires d’étages (art. 712i CC) – Rappel des principes (consid. 6.1). L’hypothèque vise à garantir les contributions des trois dernières années dues par les propriétaires d’étages. Après une interprétation principalement téléologique de la loi (consid. 6.1.2.10), le TF retient que le délai de trois ans prévu par la loi doit être calculé rétroactivement à partir du dépôt de la requête d’inscription du droit de gage communautaire. Pour une créance de cotisations arrivée à échéance le 30 septembre 2020, alors que l’exercice comptable s’étendait du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021, la demande d’inscription du droit de gage communautaire devrait être déposée au plus tard le 30 septembre 2023, c’est-à-dire trois ans après l’échéance de la créance de cotisations.
Contrat d’entreprise; réduction du prix en cas de défauts; présomption de fait; art. 368 al. 2 CO; 158, 183 CPC
Réduction du prix en cas de défauts (art. 368 al. 2 CO) – Rappel des principes. Pour calculer la réduction de prix « en proportion de la moins-value », la méthode relative s’applique, laquelle se heurte en pratique à la difficulté de fixer la valeur objective de l’ouvrage convenu (sans défaut) et la valeur objective de l’ouvrage effectivement livré (avec défaut). Pour éviter ces problèmes, la jurisprudence a d’abord posé comme présomption que la valeur de l’ouvrage qui aurait dû être livré est égale au prix convenu par les parties. En outre, le TF a posé une seconde présomption en ce sens que la moins-value est présumée égale aux coûts de remise en état de l’ouvrage. L’application conjointe de ces deux présomptions aboutit à une réduction du prix égale au coût de l’élimination du défaut. Il appartient à celle des parties qui prétend renverser l’une ou l’autre de ces présomptions de l’établir (consid. 5).
En l’espèce, le maître s’est limité à une action en réduction du prix, de sorte qu’il a renoncé à une indemnité pour les frais de réfection (consid. 5.3.1). Dans le cadre d’une procédure de preuve à futur, un expert a constaté que les frais de réparations de l’ouvrage s’élevaient à CHF 324'000.-. Ce montant a été considéré par le maître comme correspondant à la moins-value. Pour le TF, dès lors que ce montant dépasse le prix de l’ouvrage et qu’il est incontesté que la valeur de l’ouvrage n’est pas nulle, la seconde présomption ne peut s’appliquer (consid. 5.3.2). Or le maître n’a en l’espèce pas établi le montant de la réduction et il n’incombe pas au juge d’extrapoler ce montant sur la base du rapport d’expert ou de questionner l’expert sur ce sujet (consid. 5.3.3).
Contrat d’entreprise; maxime des débats et fardeau de la preuve en matière d’avis des défauts; art. 55 CPC; 8 CC; 367 et 370 CO
Maxime des débats (art. 55 CPC) et fardeau de la preuve (art. 8 CC) – Rappel des principes (consid. 5.1.1). Avis des défauts (art. 367 et 370 CO) – Rappel des principes (consid. 5.3.2).
En matière d’avis des défauts, le maître de l’ouvrage (ou l’acheteur) qui émet des prétentions en garantie doit prouver qu’il a donné l’avis des défauts en temps utile, mais il incombe à l’entrepreneur (ou au vendeur) d’alléguer l’acceptation de l’ouvrage découlant de la tardiveté de l’avis des défauts. Cette jurisprudence implique une séparation des fardeaux de l’allégation et de la preuve. Après avoir, dans un premier temps, exprimé des doutes sur cette « séparation inusuelle » des fardeaux de l’allégation (objectif) et de la preuve, tout en laissant la question en suspens, le TF a finalement maintenu sa jurisprudence publiée aux ATF 107 II 50 et 118 II 142 dans plusieurs arrêts non publiés. L’entrepreneur (ou le vendeur) supporte donc le fardeau de l’allégation objectif de l’absence d’avis des défauts ou de la tardiveté de celui-ci et le maître de l’ouvrage (ou l’acheteur) supporte le fardeau de la preuve de l’un ou l’autre de ces faits (consid. 5.3.3).
En l’espèce, l’instance précédente ne pouvait pas reprocher au maître d’ouvrage un défaut d’allégation concernant l’absence du caractère tardif de l’avis des défauts. Elle a ainsi mis à sa charge à la fois le fardeau de la preuve et celui de l’allégation (consid. 5.4).
Arbitrage interne; motifs du recours contre une sentence arbitrale; qualification contrat de prêt ou société simple; production d’une pièce au contenu erroné; art. 393 CPC
Motifs du recours contre une sentence arbitrale – Rappel des principes concernant les griefs d’omission de se prononcer sur une conclusion (art. 393 let. c CPC) et d’arbitraire (art. 393 let. e CPC) (consid. 4 et 5).
Qualification du contrat de prêt partiaire ou de société simple – Rappelant sa jurisprudence publiée (ATF 99 II 303, consid. 4), le TF souligne qu’un accord prévoyant une participation aux pertes n’est pas un élément distinctif décisif pour déterminer la nature du contrat (prêt partiaire ou société simple). En l’occurrence différents prêteurs avaient conclu des contrats séparés, sans échange d’intention entre ceux-ci. Outre l’intérêt commun de réaliser un profit dans l’opération immobilière d’espèce, chacun avait un intérêt spécifique différent, de sorte qu’il n’est pas arbitraire de nier l’existence d’un animus societatis (consid. 5.1).
Production d’une pièce au contenu erroné – Le fait que l’arbitre n’ait pas relevé des erreurs dans un document préparé par une partie et défavorable à celle-ci n’entre pas dans le cadre étroit d’une censure dirigée contre une constatation de fait manifestement en contradiction avec les pièces (consid. 5.5).
Garantie de la propriété; association et activité commerciale; zones de protections des eaux souterraines; garantie de la propriété; servitude; art. 26 et 36 Cst.; 20 LEaux; Annexe 2 et 4 OEaux; 60 et 61 CC
Association et activité commerciale (art. 60 et 61 CC) – Rappel des principes (consid. 3.1). En l’espèce, onze immeubles sont titulaires d’un droit réel sur le captage de la source, qui est utilisée par au moins onze ménages et six exploitations agricoles. Les intéressés sont regroupés au sein d’une association, laquelle a pour but de fournir à ses membres de l’eau potable et de l’eau industrielle, de construire et d’exploiter les installations communes pour l’approvisionnement en eau et de représenter les intérêts des membres vers l’extérieur, notamment vis-à-vis des propriétaires des immeubles grevés du droit de source et des services spécialisés de la commune et du canton. Une telle association ne déploie pas d’activité commerciale au sens de la jurisprudence et n’a ainsi pas à être inscrite au RC (consid. 3.1.2). Elle possède un intérêt à agir, puisque ses membres, en tant que titulaires de droits d’eau, sont concernés par le sort de la source qui fait l’objet de la procédure (consid. 3.2).
Zones de protection des eaux souterraines (art. 20 LEaux ; 29 et Annexes 2 et 4 OEaux) – Rappel des principes (consid. 5.1). Garantie de la propriété (art. 26 Cst.) – Rappel des principes (consid. 5.2).
En l’espèce, un plan de protection des eaux a été adopté dans le secteur du captage de la source. Il prévoit une zone de protection des eaux souterraines S1, entourée vers le sud par les zones de protection S2 et S3. Dans la zone S1, seules les activités et constructions servant à l’utilisation de l’eau potable sont autorisées. La zone de protection S2 soumet l’exploitation du sol et la fertilisation aux normes de l’Annexe 3 let. h et de l’Annexe 4, ch. 222 OEaux. Les terres ouvertes doivent donc être recouvertes d’engrais verts ou de fourrage intermédiaire à partir de la mi-novembre, ou d’une culture d’hiver normalement développée, semée au plus tard début septembre et non labourée jusqu’à la mi-février. Les cultures sont interdites dans une zone spécialement indiquée sur le plan de délimitation.
Base légale (art. 36 al. 1 Cst.) – Les propriétaires des terrains agricoles ont tenté en vain de démontrer que la quantité (consid. 5.2.1) ou la qualité de l’eau (consid. 5.2.2) des sources concernées n’étaient pas suffisantes pour justifier la mise en place des zones de protection des eaux. A cet égard, c’est l’état naturel ou enrichi de l’eau qui est déterminant pour décider si une eau souterraine est utilisable ou appropriée pour le captage d’eau ; les pollutions temporaires ne sont pas prises en compte (consid. 5.2.3.3). Le dépassement des seuils de nitrates et de chlorure impose cependant le respect de la procédure prévue par l’art. 47 OEaux (cf. en détails consid. 5.2.3.4). Par ailleurs, l’existence de routes à proximité ne s’oppose pas à la délimitation de nouvelles zones de protection des eaux (consid. 5.2.5.3). Des surfaces d’assolement (cf. sur la notion et la compensation : consid. 5.2.7.1) peuvent être intégrées dans la zone de protection des eaux, puisque ces surfaces, contrairement à ce qui se produirait en cas de classement en zone à bâtir, seraient aptes à produire en l’espace d’un an un rendement conforme aux usages locaux pour des cultures cibles importantes pour l’approvisionnement du pays (consid. 5.2.7.4). Les bases légales permettant d’instaurer la mesure de protection ont donc été respectées.
Intérêt public (art. 20 al. 1 LEaux et art. 36 al. 2 Cst.) – Le rendement de la source d’espèce, avec un débit moyen de 110 litres par minute, pourrait couvrir les besoins d’une population allant jusqu’à 500 personnes. Compte tenu de l’approvisionnement de onze immeubles et d’au moins onze ménages, il est en outre établi qu’il ne s’agit pas d’une simple utilisation domestique privée d’eau potable. Dans ces circonstances, il existe un intérêt public à la restriction de la propriété. Le fait que le droit à la source en question soit de nature privée n’entre pas en ligne de compte (consid.6).
Proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.) – Sous cet angle, le TF confirme tout d’abord, l’interdiction des grandes cultures dans une partie de la zone S2, laquelle apparaît comme une concrétisation de l’annexe 4, ch. 222, al. 1, let. d, OEaux, qui interdit de manière générale (en plus de celles citées expressément) les activités qui mettent en danger l’approvisionnement en eau potable (consid. 7.2). Enfin, dans le cadre de la pesée des intérêts, le TF relève que les surfaces concernées par les restrictions d’utilisation ne pèsent pas lourd face à l’ensemble des surfaces d’exploitation des propriétaires des terrains agricoles, d’autant plus que certaines des surfaces concernées sont déjà utilisées aujourd’hui comme prairies naturelles. En outre, des autorisations exceptionnelles sont envisageables pour l’interdiction d’utiliser des engrais liquides. Le fait qu’aucun site alternatif de captage n’ait été examiné ne peut être reproché aux autorités, puisqu’il existe une servitude pour le captage de la source d’espèce. Le fait qu’un site alternatif ne porte atteinte qu’aux intérêts d’autres particuliers, mais pas dans une moindre mesure, n’a pas pour conséquence, notamment au vu de la servitude existante, que la pesée des intérêts s’avère contraire au droit fédéral (consid. 7.4).
Expropriation matérielle; zone réservée et blocage des constructions entre la publication du plan et son approbation; art. 26 Cst.; 5, 27 LAT
Expropriation matérielle (art. 26 Cst. ; 5 LAT) – Rappel des principes (consid. 2.2.1).
Zone réservée (art. 27 LAT) et blocage des constructions entre la publication du plan et son approbation – Ce type de mesures n’entraînent qu’une restriction temporaire de la propriété. Selon la jurisprudence, une interdiction temporaire de construire ne donne en principe pas lieu à une indemnité pour expropriation matérielle, sauf si la restriction de la propriété est grave parce qu’elle dure longtemps. La jurisprudence n’a pas fixé de manière schématique et générale une limite de temps à partir de laquelle une restriction temporaire de la propriété doit être considérée comme de longue durée. Néanmoins, une interdiction limitée à cinq ans n’est généralement pas constitutive d’une expropriation matérielle, alors qu’une interdiction dépassant dix ans peut l’être. La question de savoir si une restriction importante à la propriété est donnée ou non ne peut en effet être résolue qu’après un certain temps, en principe dix ans, ou au moment de la planification définitive. En tout état de cause, il convient d’examiner sur la base des circonstances concrètes du cas d’espèce si l’intensité de la restriction équivaut à une expropriation matérielle (consid. 2.2.2).
En l’espèce, les mesures d’aménagement étaient provisoires, d’abord de mars 2006 à mars 2013 (zone réservée), puis de décembre 2016 à janvier 2019 (blocage des constructions avant approbation du plan). Prises séparément ou même cumulées, ces périodes ont duré moins de 10 ans. De plus, les parcelles concernées sont redevenues constructibles entre 2013 et 2016, puis entre janvier 2019 et octobre 2020, soit des périodes non négligeables, qui auraient permis d’entamer une procédure de construction. Les propriétaires n’ont toutefois jamais rien entrepris. Ils ne démontrent pas non plus qu’ils ont été contraints, en raison des mesures temporaires, de reporter à long terme certains projets de construction qui auraient pu être approuvés. La perte totale et définitive de la constructibilité de la parcelle entrée en vigueur en 2020 ne fait pas l’objet de la présente procédure. Ainsi, le droit à une indemnité pour expropriation matérielle doit être nié (consid. 2.4).
Expropriation matérielle; distinction entre un déclassement et un refus de classement; brèche dans le bâti; principe de la confiance; sacrifice particulier; art. 26 Cst.; 5 LAT
Expropriation matérielle (art. 26 Cst. ; 5 LAT) – Rappel des principes. Distinction entre un déclassement et un refus de classement – Rappel des principes (consid. 3.2.2). En l’espèce, la parcelle n’est plus soumise, depuis 2022, à une planification définitive ; il existe au contraire un vide de planification. En pratique, cela revient néanmoins à une restriction à long terme du droit de construire (consid. 3.3). Cette restriction doit toutefois être qualifiée de refus de classement, dans la mesure où l’ancienne planification, abrogée en 2022, n’était pas conforme à la LAT en raison d’un surdimensionnement de la zone à bâtir (consid. 3.4). En outre, les investissements et les frais d’équipement allégués en l’espèce ont été réalisés dans le passé pour les anciennes activités de stockage et de commerce de carburants et ne sont donc pas liés à la non-affectation à la zone à bâtir en 2002. Par ailleurs, le prix d’achat du terrain ne fait pas partie des frais d’équipement. L’existence d’un lien de causalité entre les dépenses alléguées et la mesure susceptible de constituer une expropriation matérielle a donc été niée à juste titre (consid. 4.4).
Brèche dans le bâti (Baulücken) – La notion est comprise de manière restrictive par la jurisprudence et comprend essentiellement des parcelles individuelles non construites qui jouxtent directement les terrains construits, généralement déjà viabilisés et présentant une superficie relativement faible. L’affectation du terrain à bâtir non construit est principalement déterminée par les constructions qui l’entourent ; la brèche dans le bâti doit donc faire partie du milieu bâti fermé, participer à la qualité de celui-ci et être si fortement marquée par les constructions existantes qu’il est judicieux d’envisager son inclusion dans la zone à bâtir (consid. 5.2). En l’espèce, la surface concernée, de par sa grande taille et sa position géographique, constitue une grande zone majoritairement non bâtie, autonome et détachée des zones urbanisées qui l’entourent ; elle ne constitue pas une brèche dans le bâti au sens de la jurisprudence (consid. 5.3).
Principe de la confiance en matière d’expropriation matérielle – Rappel des principes (consid. 6.2). En l’espèce, le dossier ne présente pas de promesses ou d’assurances données par les autorités. Le fait que des décisions gouvernementales placent provisoirement le terrain dans une « zone de conversion et de réaménagement », sans que ces décisions ne contiennent d’injonctions contraignantes quant à l’inclusion du terrain dans une zone à bâtir déterminée, alors que la planification future demeurait effectivement incertaine, ne permet pas de retenir que le propriétaire pouvait de bonne foi s’attendre à un classement en zone à bâtir (consid. 6.4).
Condition du sacrifice particulier – Une atteinte de moindre importance peut aussi constituer une expropriation matérielle si elle frappe un ou plusieurs propriétaires d’une manière telle que, s’ils n’étaient pas indemnisés, ils devraient supporter un sacrifice par trop considérable en faveur de la collectivité, incompatible avec le principe de l’égalité de traitement. La protection s’étend uniquement à l’usage futur prévisible du fonds, c’est-à-dire la possibilité de l’affecter à la construction sans délai (consid. 3.2.1). Tel n’est pas le cas en l’espèce, pour un terrain qu’il n’était même pas obligatoire d’affecter à la zone à bâtir (consid. 7.2).
NB : les arrêts du TF 1C_28/2023 et TF 1C_29/2023 portent sur des parcelles voisines du même ensemble ; les considérants sont similaires, le sort de la cause identique.
Servitude; droit de passage nécessaire et droit public; état de nécessité et bonne foi; détermination du fonds servant; art. 694 CC; 19-20 LAT
Droit de passage nécessaire et droit public – Le droit de passage nécessaire ne peut être refusé au motif que la construction n’est pas équipée suffisamment au sens des art. 19 et 20 LAT que pour des constructions nouvelles. A l’inverse, l’art. 694 CC doit, pour des immeubles existants, permettre de corriger des insuffisances anciennes, en particulier pour un bâtiment auquel les art. 19 ss LAT n’étaient pas applicables au moment de l’édification et sans qu’un lien puisse être fait avec des règles cantonales anciennes abrogées qui présidaient autrefois à la délivrance du permis de construire (consid. 3.2).
Etat de nécessité et bonne foi – Un propriétaire ne saurait réclamer de passage au sens de l’art. 694 CC lorsqu’il a lui-même causé l’état de nécessité, qu’il l’a toléré ou s’en est accommodé, ou encore lorsqu’il a adopté un comportement contraire au principe de la bonne foi, par exemple en supprimant un passage existant pour en obtenir un plus commode. Le refus du passage suppose donc que le propriétaire ait provoqué l’état de nécessité en agissant de façon délibérée. Il est en revanche admis que l’on ne peut objecter au propriétaire qui achète un bien-fonds déjà construit d’avoir créé par sa faute le besoin d’accès. Le même raisonnement doit s’appliquer à l’héritier du propriétaire à l’origine de l’enclavement, qui ne peut pas non plus se voir imputer l’état de nécessité créé volontairement par celui dont il a hérité. Une attitude abusive ne se transmet pas à titre universel (consid. 4.3).
Détermination du fonds servant (art. 694 al. 2 CC) – Rappel des principes. Dans le cas où une parcelle n’a plus d’accès à la voie publique ensuite de la division d’un fonds ou de l’aliénation d’une parcelle contiguë appartenant au même propriétaire, le passage sera accordé sur l’autre parcelle qui, elle, a encore un accès à la route. Les voies d’accès existantes, mais insuffisantes au regard des besoins actuels, notamment parce que le passage est trop étroit ou ne permet pas l’accès avec un véhicule à moteur, entrent aussi en ligne de compte. En pareil cas, le passage nécessaire est dû par le propriétaire du fonds sur lequel s’exerce le droit de passage existant, si un accès suffisant est possible à travers ce fonds. Ce n’est que si aucun fonds ne répond à ces critères, à savoir lorsque l’état de nécessité ne résulte pas d’une modification de l’état des propriétés ou des voies d’accès, que le droit de passage peut être demandé au propriétaire du fonds sur lequel le passage est le moins dommageable (consid. 5.3.1). Le Tribunal fédéral relève cependant que la doctrine tempère l’ordre de priorité, en ce sens qu’il peut s’inverser en cas de disproportion manifeste entre les inconvénients encourus par les potentiels grevés, respectivement que l’écoulement du temps conduit à ce que les issues antérieures apparaissent déraisonnables par rapport à d’autres issues, devenues plus logiques compte tenu de l’état des lieux (consid. 5.3.2). Finalement, le TF laisse indécise la question de savoir s’il l’on peut opposer une limite temporelle au critère de l’état antérieur des propriétés, tout en précisant que cela revient finalement à pondérer les intérêts des propriétaires susceptibles d’être grevés du passage nécessaire.
En l’espèce, alors que la perte d’accès de la parcelle est postérieure à la division parcellaire et que l’accès par l’autre parcelle issue de la division est déjà existant (servitude de passage) mais insuffisant, il apparaît cohérent de créer l’accès suffisant selon le critère du moindre dommage causé aux propriétaires des potentiels fonds servants (consid. 5.4).
Servitude; renonciation à une servitude; art. 734 CC
Renonciation à une servitude – La servitude s’éteint avec sa radiation au registre foncier (art. 734 CC). La renonciation à une servitude peut toutefois être effective avant la radiation si son ayant droit déclare y renoncer sans réserve ni condition ; la volonté de renoncer peut être exprimée expressément ou tacitement, un comportement implicite devant exprimer clairement cette volonté. Tel est par exemple le cas lorsque le propriétaire du fonds grevé autorise une construction contraire à la servitude sur le fonds voisin. En revanche, le seul non-exercice d’une servitude pendant une longue période ne peut être interprété comme une déclaration de renonciation et donc avoir une portée juridique que si les circonstances indiquent sans équivoque cette intention et qu’une autre interprétation doit être considérée comme exclue ou du moins hautement improbable. Lorsque la renonciation à la servitude n’est pas suivie d’une déclaration correspondante du titulaire de la servitude, adressée au registre foncier, le propriétaire du fonds servant doit ouvrir action en rectification du registre foncier pour obtenir la radiation de la servitude (consid. 3.1.2).
En l’espèce, les parties ont conclu un accord global, prévoyant la plantation d’une haie sur l’assiette d’une servitude de passage. Bien que l’accord ne le mentionne pas expressément, il est possible de retenir sans arbitraire que la volonté subjective des propriétaires du fonds dominant était de renoncer à la servitude (consid. 5.2.2).
Servitude; inscription et interprétation d’une servitude; art. 738, 971, 973 CC
Inscription et interprétation d’une servitude (art. 738 CC) – Rappel des principes (consid. 3.3.1). En l’espèce, l’inscription d’une servitude est libellée uniquement « Passage ». Elle date de 1931 et aucun contrat constitutif ne figure au registre foncier. Elle a été reconduite à l’identique en 1990, à la division du fonds grevé. En 2006, à l’occasion d’une « mise à jour » de la servitude (terme utilisé dans le verbal du RF), l’étendue de la servitude a été clairement délimitée en référence à un plan ; son assiette peut ainsi établie au regard de celui-ci, qui figure au registre foncier. Il n’en demeure pas moins que le contenu même de la restriction ne peut être objectivement défini en s'arrêtant à l’inscription au registre foncier. De plus, aucun contrat constitutif n’a été conclu en 2006. Ces circonstances permettent objectivement de comprendre que la « mise à jour » de 2006 s'est limitée à préciser l’assiette de la restriction, sans concerner son contenu même. Ce contenu a été établi correctement par les instances précédentes, en référence au but qui découlait raisonnablement des besoins d’utilisation du fonds dominant, selon les circonstances de l'époque en 1931, c’est-à-dire pour un usage exclusivement agricole (consid. 3.4).
Servitude; motivation de l’appel; motivations alternatives d’un jugement; art. 662, 731 CC; 311 CPC
Motivation de l’appel (art. 311 CPC) – Rappel des principes. Si une décision comporte une double motivation (i.e. deux motivations indépendantes, alternatives ou subsidiaires), il incombe au recourant, sous peine d’irrecevabilité, de démontrer que chacune d’elles est contraire au droit. On ne peut parler de double motivation que si chacun de ses pans suffit à sceller le sort de la cause. Il n’y a en revanche pas de double motivation lorsque la première motivation scelle le sort du litige, mais que la seconde, qui se fonde sur un critère erroné, est en soi impropre à sceller le sort de la cause ; le fait que l’appelant n’a contesté que la première motivation ne fait dès lors pas obstacle à la recevabilité de l’appel (consid. 3.3.1).
En l’espèce, la volonté de la seule propriétaire de tous les immeubles en cause, de renoncer à l’éventuelle servitude non inscrite en faveur de l’un des immeubles, respectivement de la supprimer, constitue un motif indépendant de ceux relatifs aux conditions de l’acquisition d’une servitude par prescription acquisitive extraordinaire (art. 662 al. 1 cum art. 731 al. 3 CC). En effet, ce premier motif aurait été suffisant à lui seul à sceller le sort de la cause (consid. 3.4).
Hypothèque légale des artisans et entrepreneurs; inscription provisoire d’une hypothèque légale; vraisemblance des travaux; art. 839 al. 2, 961 al. 3 CC
Inscription provisoire d’une hypothèque légale (art. 839 al. 2 et 961 al. 3 CC) – Vu la brièveté et l’effet péremptoire du délai de l’art. 839 al. 2 CC, l’inscription provisoire d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs ne peut être refusée que si l’existence du droit à l’inscription définitive du gage immobilier paraît exclue ou hautement invraisemblable. En présence d’une situation de fait ou de droit mal élucidée méritant un examen plus ample que celui auquel il peut être procédé dans le cadre d’une instruction sommaire, il convient bien plutôt de laisser au juge de l’action au fond le soin de décider si le droit à l’hypothèque doit en définitive être admis (consid. 4.1).
Vraisemblance des travaux – La jurisprudence qui précède ne signifie pas qu’une inscription doive être ordonnée alors même que le prétendu entrepreneur n’apporte aucune preuve, ni même aucun indice selon lequel il a effectué des travaux et que l’existence même de ces travaux est contestée. En l’espèce, l’entrepreneur échoue à rendre vraisemblable la réalisation de travaux, dès lors qu’il n’a produit ni contrat, ni devis, ni procès-verbal de chantier, ni relevé d’heures, ni photographie des travaux, ni même la moindre correspondance avec le maître. Le témoignage d’un de ses employés n’a pas davantage été proposé. La production de factures qu’il avait lui-même émises ainsi que celle de relevés de localisation de véhicules sont insuffisantes même sous l’angle de la vraisemblance (consid. 4.3).
Poursuite pour dettes et faillite; procédure d’estimation d’un immeuble; méthode d’estimation; rôle de l’estimation; art. 91, 97, 112, 140, 155 LP; 9, 44 ORFI
Procédure d’estimation d’un immeuble (art. 97 al. 1 LP et 9 al. 1 ORFI) – L’Office des poursuites procède à l’estimation des biens immobiliers dans le cadre des opérations de saisie. Il renouvelle si nécessaire l’estimation dans le cadre des opérations de réalisation, à l’issue de l’épuration des charges (art. 140 al. 3 LP et art. 44 ORFI). En cas de poursuite en réalisation de gage, l’estimation de l’immeuble engagé a lieu suite à la réquisition de vente, ce mode particulier de poursuite ne comportant pas d’opérations de saisie (art. 155 al. 1 LP qui renvoie à l’art. 91 al. 1 LP et art. 99 al. 1 ORFI qui renvoie à l’art. 9 al. 1 ORFI). L’estimation doit déterminer la valeur vénale présumée de l’immeuble et de ses accessoires, sans égard au montant de la taxe cadastrale ou de la taxe de l’assurance contre l’incendie. Chaque intéressé a le droit d’exiger, en s’adressant à l’autorité de surveillance dans le délai de dix jours dès réception de l’estimation de l’Office, qu’une nouvelle estimation de l’immeuble à réaliser soit faite par un expert (art. 9 al. 2 ORFI). L’autorité de surveillance s’en remet en principe à l’avis des experts. Il n’est d’ailleurs pas rare que deux experts aient un avis différent sur le même objet, les critères d’estimation pouvant varier considérablement de l’un à l’autre. Dans cette procédure, le TF vérifie seulement si l’autorité cantonale de surveillance a respecté la procédure prévue et si elle n’a pas excédé ou abusé du pouvoir d’appréciation dont elle dispose. Une telle hypothèse est réalisée lorsqu’elle a pris des critères en considération qui n’auraient pas dû jouer de rôle ou si, au contraire, elle a ignoré des circonstances pertinentes (consid. 3.1.1).
Méthode d’estimation – L’estimation doit déterminer la valeur vénale présumée de l’immeuble à réaliser (art. 9 al. 1 ORFI), à savoir le produit prévisible de la vente, mais sans devoir être « la plus élevée possible ». Elle ne préjuge en rien du prix qui sera effectivement obtenu lors des enchères ; tout au plus peut-elle fournir aux enchérisseurs un point de repère quant à l’offre envisageable. Elle doit englober tous les critères susceptibles d’influer sur le prix d’adjudication, notamment les normes du droit public qui définissent les possibilités d’utilisation de l’immeuble à réaliser. En revanche, la loi n’indique pas la méthode à suivre pour procéder à l’estimation de la valeur vénale. En pratique, la méthode hédoniste, qui prend en considération un faisceau de paramètres à l’aide de banques de données, est employée pour estimer des appartements ou des maisons individuelles. Il n’en demeure pas moins qu’une des méthodes reconnues et répandues pour déterminer la valeur vénale d’un immeuble est celle consistant à pondérer la valeur de rendement et la valeur réelle (consid. 3.1.2).
Rôle de l’estimation – Dans la poursuite en réalisation du gage, l’estimation n’a qu’un rôle secondaire, en tant qu’elle ne donne qu’un ordre d’idée d’une offre acceptable aux intéressés. Cela diffère de la fonction qu’elle revêt dans la procédure de saisie où elle fixe l’étendue de la saisie (art. 97 al. 2 LP) (consid. 3.1.2).
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